Dans le « repons » de leurs deux livres à quatre mains, Brigitte Schuermans (aux pinceaux) et Miguel Mesquita da Cunha (à l’écriture) acceptent un certain « débridé ». Celle « qui assume sa nudité » peint le corps de l’amant dans le même appareil. Mais dans les deux cas nul exhibitionnisme. La peinture quoique figurale suggère est bien au-delà du réalisme par la puissance de la matière et de ses couleurs. Quant au texte, il devient métaphore — mais sans rien édulcorer des semences d’étoiles d’or qui jonchent la couche où finalement les corps s’apaisent.
Les deux œuvres se répondent dans l’alliance de la joie et de la liberté. Elles sont donc liées moins par un nœud de contraintes que par un vœu « ouvert et intime ». Les mots deviennent des traces d’existence sur le blanc de la page et les peintures des incartades sentimentales aussi denses que chargées. Le rituel amoureux reste un « rituel d’élévation » aussi plastique et poétique qu’existentiel.
Par la femme, il s’agit de renaître et d’avancer comme si le poète n’avait vraiment commencé à écrire qu’à travers elle. Les deux livres en leur partage prouvent qu’on ne se débarrasse pas de la « vraie » histoire d’amour : elle se prolonge dans la violence de la dé/re– possession puisque quelquechose touche à l’essentiel de l’être dans sa chair autant que dans son âme.
Textes et images illustrent comment dans la réalité acquise rien n’est jamais acquis. Preuve que l’amour offert n’est pas une simple « donnée ». Néanmoins, la poésie et la peinture permettent au réel de se renforcer dans une sorte d’hymen tacite. Par delà l’épreuve du temps, le futur devient probable et les « journées enfantes » dont parla Rimbaud sont encore possibles. Les journées, mais aussi les nuits « comme nulles autres / Sur la rue bordée de montagne et de désirs » et constellées d’attente.
Mots et peintures ruinent ici toute inertie conceptuelle et désignent l’amour dans un certain excès mystérieux. Ce que l’un des amants ouvre, l’autre le creuse arrachant les promesses au désespoir et au dérisoire puisqu’émerge le feu du feu. S’inscrit une tache lumineuse (aveuglante voire aveuglée diraient les mauvais « coucheurs ») essentielle au cœur même de l’obscurité. Soleil et chair deviennent des mots capables de transmuer le passé antérieur de l’être en lendemains. Encore faut-il avoir la chance du poète : pour lui, aux « ordinaires périclitantes sur leurs aiguilles / caparaçonnées de fard de fadeur et de fiel » fait place l’Unique qui, au livre comme à son auteur, accorde la lumière. Là commence enfin l’ « avénementiel » du transport amoureux que chacun à leur manière les deux protagonistes célèbrent.
jean-paul gavard-perret
Miguel Mesquita da Cunha & Brigitte Schuermans, Tribu & Avec toi,Chez les auteurs, Bruxelles, septembre 2015.